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Aurélien Mazeraud
Médecin Anesthésiste-réanimateur.
Chercheur en neurobiologie.
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Nicolas :
Allô oui !?
Aurélien :
Oui, c'est de nouveau Aurélien, attends je ferme ma fenêtre et je dis juste un truc à mon étudiante à côté, attends... Allô Nicolas !?
Nicolas :
Oui !
Aurélien :
Alors, tu m'entends bien, c'est bon ? Ou tu veux qu'on passe sur mon...
Nicolas :
Non non, c'est parfait, c'est parfait, je pense que ce sera top. Oui donc déjà merci beaucoup de m'accorder de ton temps milanais...
Aurélien :
Pas de souci, avec plaisir.
Nicolas :
Voilà, comme tu as pu le voir dans le mail que je t'ai envoyé, je travaille sur la phénoménologie du rétropédalage. Je fais une enquête de terrain où je vais interviewer des industriels, des associations. Pour essayer de voir un petit peu ce que ça produit de différent par rapport à un freinage sur les jantes classiques. J'ai des questions à propos de comment ça fonctionne par rapport au cerveau. Déjà, la première question, c'est, qu'est ce qui se passe dans notre cerveau dans une situation de freinage ? Mais je vais reprendre depuis le début. Est ce que tu peux me dire ce que tu fais dans les neurosciences ?
Aurélien :
Oui, j'allais te demander aussi, te retourner la question. Alors moi, je suis anesthésiste-réanimateur, je travaille en neuro-réanimation et en réanimation générale, médicale, je m'occupe des cas les plus graves des hôpitaux, des AVC, des hémorragies intracrânienne, mais aussi de la neurochirurgie, de pas mal de choses. Tout ce qui est l'agression cérébrale aiguë, comme on l'appelle. En parallèle, j'ai fait une thèse de science où j'ai travaillé sur les aspects comportementaux des souris, notamment sur la peur. Sur des mécanismes épidictiques et ce que l'on appelle aussi le comportement de maladie, qui définit l'ensemble des modifications comportementales qui arrivent lorsque l'on a une infection, comme une grippe et qu'on a envie de rester sous la couette.
Nicolas :
Il y a un rapport entre des déficits comportementaux et les études que tu as faites par rapport à ce que tu as fait avant ?
Aurélien :
Alors sur les déficits comportementaux ! Tu entends par exemple en réanimation ? Le lien entre mes deux topiques, tu veux dire ce que je fais en clinique... Ce que je fais à l’hôpital et ce que je fais en recherche !?
Nicolas :
D'accord, donc ce sont deux sujets différents. La question que je me posais, c'est que je me suis dit que c'était assez intéressant de creuser la question du lien entre la peur et justement les comportements ? Mais visiblement, ce sont deux sujets d'étude complètements différents...
Aurélien :
Non, je comprends ce que tu veux dire...
Alors pour préciser un petit peu mieux ce que j'ai fait. On s'est aperçu au cours des infections graves qui amènent en réanimation, qu'on a des modifications comportementales, qui s’appelle le comportement de maladie. C'est des gens qui vont être plus anxieux, qui vont ne plus avoir faim, vont avoir un retrait social et vont avoir envie de s'isoler, mais ça, c'est une manifestation que l'on va qualifier de normale face à une infection.
Quand les infections sont plus graves et amènent en réanimation, il y a le cerveau qui réagit, mais il peut aussi dysfonctionner, une défaillance du cerveau, du système nerveux central. Du moins, il ne protège pas les voies aériennes, parce que quand tu déglutis, c'est un phénomène très complexe, quand on est dans le coma, on ne déglutit plus très bien, on peut déglutir dans le poumon.
Tout ça, c'est la réponse du système nerveux central, du cerveau, face à une infection qui peut t'amener en réanimation. Nous, on s'est aperçue qu'il y avait aussi une anxiété plus importante et on l'a étudié chez les patients.
Donc cette anxiété, elle prédit le devenir du patient dans les sept jours qui suivent. C'est-à-dire que les patients très anxieux vont avoir tendance à plus se dégrader après leur admission. Comme si leur anxiété, elle était prémonitoire de la suite d'événements. Une autre chose qui nous a intéressée, c'est que les gens qui n'avaient pas peur de mourir semblaient avoir une peur inadaptée.
Ça, c'est peut-être un petit peu comme si le patient ne réussissait pas à s'orienter et ça montre que le système nerveux ne fonctionne peut-être pas très bien. Ces patients-là, ce sont ceux qui s'aggravaient le plus. Donc, ça, c'est chez le patient, et on a fait un petit peu la translation jusque dans le modèle expérimental, dans le laboratoire de recherche.
On a remis en évidence que les infections pouvaient favoriser les comportements de peur et ça, c'est sûr que c'est un trouble, enfin, c'est induit par le sepsie et ça perdure. Si tu veux, c'est un peu ce que l'on voit en clinique, le stress-post-traumatique, c'est-à-dire que le patient, six mois après quand il est à la maison et qu'il entend le téléphone sonner, il va sursauter. Parce que ça va lui rappeler les bruits de la réanimation, ça, c'est le stress-post-traumatique.
Mais ces patients là aussi ont des troubles cognitifs, de l'attention, de la mémoire. Ils ont peut-être des problèmes de logique, de dessin, on appelle ça, l'apraxie. Tout ça, c'est ce qui entoure les patients qui sont admis en réanimation pour les infections les plus graves. Moi, j'ai travaillé un petit peu sur tout ce chemin d'un patient qui est amené en réanimation pour une infection grave.
Nicolas :
D'accord et sur les désagréments, si je puis dire, que ça peut causer.
Aurélien :
Alors sur les séquelles, sur les signes précoces qui sont associés...
Nicolas :
C'est intéressant ce lien entre l'anxiété et la dégradation, c'est quand même dingue.
Aurélien :
Oui oui tout à fait, alors c'est quelque chose qui est rapporté depuis longtemps dans les livres, même Hippocrate, du temps de l'antiquité l'avait remarqué et l'a mis dans ses enseignements. En revanche, nous, on a été, enfin à notre connaissance, les premiers à le montrer de manière scientifique.
Nicolas :
Et tu voulais me retourner la question, c'est ça ?
Aurélien :
Oui exactement, alors explique-moi comment tu en es venu à travailler sur le rétropédalage !?
Nicolas :
Alors avant que je rentre à l'ENSCI, l'école dans laquelle je suis à Paris, j'ai passé un peu de temps en Belgique et dans le nord de la France. C'est un endroit qui m'a marqué parce que j'ai fait mes études là-bas, un parcours un peu à rallonge, mais j'ai fait plein de choses.
Quand il a fallu choisir le sujet de mémoire, je ne sais pas si tu es au courant, mais en 2020, Lille est la capitale mondiale du design, enfin la Métropole Européenne de Lille, ce qui est différent. J'ai commencé à me dire que j'allais m’intéresser à ça et je me suis intéressé au comité d'organisation et notamment la directrice qui parle beaucoup du Danemark comme d'un exemple en matière de design.
Alors, je me suis rendu moi-même au Danemark et comme tous les Danois, je me suis déplacé à vélo. Il se trouve que dans le nord de l'Europe, aux Pays-Bas comme au Danemark, comme certainement en Suède, ce sont souvent des vélos à rétropédalage. Un truc qui est quasi inexistant chez nous, ou alors quand j'en parle à mes parents ou à la génération de mes parents, ils me disent qu'ils avaient ça quand ils étaient petits. Ça a piqué ma curiosité parce que j'ai trouvé que c'était un freinage qui était très doux par rapport à un freinage sur les jantes classiques, que tu actives avec des leviers au niveau des mains.
En plus de ça, que ça générait une impression, celle que tu freines moins bien. Tu es plus distant, tu vas avoir tendance à plus anticiper, ça provoque des suites de causes à effets qui font que, même dans les infrastructures qui sont mises en place par les collectivités, tu vas avoir des spécialités ou des choses très précises qui vont se produire dans le comportement des usagers. Il y a des règles qui se mettent en œuvre et j'essaie de comprendre tout ce qui se passe au travers d'une technique de freinage.
Je mets ça en lien avec Bruno Latour qui dans le livre la clé de Berlin, parle de la clé de Berlin. Je ne vais pas te le synthétiser parce que c'est intéressant ce qu'il raconte, mais en gros, c'est une clé qui à l'époque servait d'intermédiaire sociale, enfin elle avait un rôle assez particulier.
Dans cet article sur la clé de Berlin, il dit que « toute technique est un discours en soit, qui peut être traduit par d'autres médium ». J'essaie un peu de comprendre ce qui se cache derrière la technique, un peu à la manière de ce que l'on appelait dans les années soixante-dix, l'ethnotechnologie.
Aurélien :
Et c'était quoi cette clé de Berlin ?
Nicolas :
La clé de Berlin, c'était juste une clé que le concierge avait qui lui permettait d'ouvrir et fermer comme il voulait. Ça permettait que les gens lambdas, les résidents, pouvaient, dans la journée, ouvrir la porte, mais pas la fermer, et le soir fermer la porte, mais pas l'ouvrir, tu es obligé de passer la clé à travers là...
Enfin, c'est tout un système qui faisait que le concierge avait son rôle, il avait sa clé à lui et ça permettait comme nous avec les digicodes aujourd’hui. Il y a des digicodes à Paris avec lesquels la journée, tu n'es pas obligé d'avoir le code et le soir, tu es obligé de connaître le code.
Par exemple, quand tu vas chez le docteur, tu ne connais pas le code, tu as juste à appuyer sur un bouton et ça ouvre la porte, mais ce n'est que dans des tranches horaires précises. Ça avait à peu près le même rôle.
Aurélien :
D'accord, ok...
Nicolas :
Mais c'est assez intéressant.
Aurélien :
Oui et bien si tu l'as, je veux bien que tu me l'envoies...
Nicolas :
Oui, pas de soucis, je t'envoie ça...
Aurélien :
Ok.
Nicolas :
Je me pose des questions par rapport à ce que je te disais tout à l'heure, qu'est ce qui se passe dans notre cerveau au moment d'une situation de freinage ? À vélo...
Aurélien :
Alors !
Nicolas :
J'imagine que c'est pareil qu'en voiture, mais...
Aurélien :
Je pense que c'est assez complexe d'un point de vue comportemental. Parce que ça met en jeu différentes fonctions qui sont régies par le cerveau et qui sont, à mon avis, très finement régulées. Quand tu es conducteur, que ce soit à vélo ou d'autres moyens, comme tu l'as dit, tu vas essayer d'anticiper.
Déjà anticiper, c'est une tâche qui est hautement cognitive, quasiment, seulement humaine. Pour freiner, il faut te dire que dans 100 mètres, tu as un feu rouge et que tu vas peut-être devoir freiner parce qu'il ne va pas passer au vert, tu vas prédire. Déjà rien que l'initiation, la volonté de freiner, c'est quelque chose de régler très finement. Ça, on va dire que c'est le freinage, qui ne sera pas le freinage réflexe. Ce sera, à mon avis, très dépendant du cortex pré-frontal, c'est la partie antérieure du cerveau qui a des influences multiples.
Par exemple, tu as des personnalités de gens qui vont freiner au dernier moment, d'autres qui vont arrêter d’accélérer dès qu'ils voient un feu rouge. Ça, c'est hautement régulé et il y a beaucoup d'influences corticales, c'est un mécanisme très complexe. Je pense que c'est le premier type de freinage.
Le deuxième type de freinage, ce serait plutôt le freinage réflexe, dans lequel il y a un obstacle qui vient devant toi et tu dois freiner pour l'éviter.
Soit tu freines, soit tu mets un coup de volant, ce sont des mécanismes déjà un petit peu plus réflexe. Mais ils font quand même intervenir la vision, qui va ensuite dans le lobe occipital, qui renvoie l'information processée également dans le lobe frontal, mais pas les mêmes circuits et qui envoie au centre moteur, au cortex pariétal moteur, l'ordre de freiner. C'est un circuit qui va être beaucoup plus rapide, probablement moins influencé par les facteurs de personnalité et qui font que du coup, tu vas freiner.

Ce que je pense, c'est que quand on fait du rétropédalage, probablement que la distance de freinage elle est différente non ?
Nicolas :
Plus ou moins ! De mon côté, je n'ai pas fait d'étude scientifique à ce propos. J'ai rencontré des industriels qui m'ont dit que, oui, la distance de freinage, elle était moins bonne pour eux. Mais la question, c'est aussi, comment ils font les tests. Parce qu'avec le rétropédalage, on peut aussi bloquer la roue. Le rétropédalage, ça fonctionne énormément avec le poids qu'il y a sur le vélo, alors que le frein à levier, ça va marcher avec la force que tu mets sur le levier. Rien que par rapport à ça et par rapport aux tests qu'ils font, même si j'imagine que ce sont des tests Européens, c'est difficile pour moi de prouver qu'il y en a un qui freine mieux que l'autre.
Aurélien :
Si tu mets deux personnes l'un à côté de l'autre, l'un équipé avec des freins, l'autre avec un pignon fixe, quand il freine, tu regardes celui qui va le plus loin !
Nicolas :
A priori, ils freineront de la même manière. C'est là que ça devient intéressant, si j'ai bien compris, il y a aussi une énorme partie d'apprentissage dans cette question du rétropédalage.
Aurélien :
Ça dépend si c'est un débutant ou pas.
Nicolas :
Exactement, si c'est quelqu'un qui à toujours freiné avec du rétropédalage, il freinera à la même vitesse, enfin, il ralentira à la même vitesse que quelqu'un qui freine avec un frein normal.
Aurélien :
D'accord, ok.
Nicolas :
Techniquement, il n'y a pas particulièrement de différence, alors ce n'est pas vraiment des pignons fixes. Les pignons fixes, c'est une chose différente, mais c'est la même chose dans le sens où il n'y a pas de roue libre à l'arrière. Ça veut dire que tu ne peux pas pédaler vers l'arrière.
Aurélien :
D'accord, ok, j'ai compris... Mais tu peux changer de vitesse !?
Nicolas :
Souvent, les vélos à rétropédalage, de type hollandais par exemple, sont équipés de torpédo. Les vitesses sont intégrées dans le moyeu à l'arrière. Oui, tu as des trois ou des huit vitesses, souvent, c'est des trois vitesses, mais tout est intégré dans le moyeu, le frein comme les vitesses.
Aurélien :
Ah génial, ok.
Nicolas :
Ce qui fait que c'est très solide, durable. Tu n'as jamais à y toucher, il y a vraiment plein d’avantages techniques. Par contre, le jour où tu veux changer ta roue, c'est vite compliqué parce que c'est difficile à démonter. Il y a des avantages et des inconvénients.
Aurélien :
D'accord.
Nicolas :
J'essaie aussi un peu de comprendre pourquoi aux Pays-Bas, ils utilisent ce système depuis qu'ils font des vélos. Ce qui est intéressant, c'est de voir que ce ne sont que les vélos du quotidien. Un vélo de course aux Pays-Bas, il aura toujours des freins à jantes, parce que c'est plus léger, plus facile à réparer quand tu fais de la course ou des choses comme ça. Mais sur les vélos qu'ils vont utiliser au quotidien, des vélos de transport, ils ne vont mettre que des freins à rétropédalage.
Aurélien :
D'accord.
Nicolas :
Sachant qu'aux Pays-Bas, le frein avant n'est pas obligatoire, tu peux n'avoir qu'un frein à rétropédalage.
Aurélien :
D'accord. Alors qu'est-ce qui est différent d'un point de vue neurologique entre les deux. Toute cette partie d'anticipation, si la distance de freinage est la même, il n'y aura aucune différence, enfin, je ne vois pas pourquoi il y aurait une différence en tout cas.
Nicolas :
En soit, le freinage réflexe et le freinage anticipé, ce sont deux chemins différents ! J'imagine que le freinage réflexe, c'est un peu un chemin d'urgence dans le cerveau, il n'y aura pas de différence si on utilise nos mains ou si on utilise nos pieds ?
Aurélien :
Non, je pense qu'il n'y aurait pas de différence parce que c'est une tâche qui s’apprend. L'apprentissage demande beaucoup de ressource au début et petit à petit, les mouvements sont transférés vers les structures les plus archaïques et qui vont répondre le plus rapidement. Par exemple, tu vas apprendre une tâche motrice, au début, tu vas être très lent et petit à petit tout cela va être géré quasiment par du cortex beaucoup plus primaire, et le cervelet et des tâches beaucoup plus postérieures avec des structures plus anciennes neurologiques. Que tu freines avec les mains ou avec les pieds, je pense que ça arrive dans ces deux structures-là, de la même manière que tu pourrais très bien freiner à moto avec les mains et en voiture avec les pieds. En revanche, là où il peut y avoir une différence, c'est peut-être que l'apprentissage de la tâche se veut plus difficile. Parce que si tu pédales dans un sens et que tu dois aller dans l'autre sens... Ça me paraît peut-être être moins intuitif, c'est peut-être ma vision, mais ça paraît moins intuitif que la personne qui freine avec les mains, qui est un geste totalement différent, beaucoup plus accessible et tu fais juste une pression de la main et ça suffit pour freiner. Là, il faut accompagner le pédalier, rétropédaler.
Nicolas :
En l’occurrence pour un enfant, par exemple, c'est beaucoup plus logique. Parce qu'il y a des enfants quand ils freinent, ils continuent de pédaler. Quand tu dois rétropédaler, déjà, ça veut dire qu'il faut arrêter de pédaler et pédaler vers l'arrière donc. C'est pour ça que je te disais que c'était très lié aussi à une question d'apprentissage. J'ai rencontré quelqu'un qui travaille dans une association qui s'appelle, l'association droit aux vélos, et qui est beaucoup représenté dans le nord de la France. Il me disait que lui pour ses enfants ça avait été très bien parce que justement, c'est peut-être plus intuitif. Nous ça nous parait moins intuitif parce qu'avec l'âge, on a appris à comprendre la différence, même si l'argument de dissocier les pieds et les mains marche très bien. En tout cas, pour les enfants, il y avait aussi cet argument qui disait que ça aide à comprendre qu'il faut arrêter de pédaler pour freiner.
Aurélien :
 Oui, en effet, c'est vrai que pour nous ça semble complètement intuitif, mais tu as raison. En tout cas, ce qui est de l'ordre de l'apprentissage, c'est aussi le cortex pré-frontal qui va jouer et qui va pouvoir te donner des « go » / « no-go
Nicolas :
D'accord ! Et ça sert à quoi en règle générale le cortex pré-frontal ? C'est quoi ses fonctions ?
Aurélien :
Alors, on va dire que c'est le lobe le plus important parce qu'il va gérer les tâches les plus élaborées. C'est le centre de la personnalité, de la logique, du raisonnement. Il va te permettre, de prendre des décisions et c'est aussi le centre de la volonté. Par exemple, quelqu'un qui a un syndrome frontal, donc qui n'a pas son lobe frontal, ça va être quelqu'un qui va être grossier, impulsif, qui va avoir des pulsions sexuelles, il ne va pas savoir se comporter en public. Certains n'ont tellement plus d'omission, qu'ils ne peuvent même plus démarrer un mouvement ou commencer une phrase, ce sont des gens qui peuvent être mutique, ne plus parler, ce que l'on appelle akinétique, ils ne peuvent plus bouger du tout.
Nicolas :
Comme je le disais dans mon email, il y a un truc qui me fait sourire. C'est cette ambiguïté du rétropédalage. Parce qu'on a développé la voiture pendant cent ans, alors qu'on faisait du vélo avant et là avec le plan vélo et plusieurs autres points il y a comme un rétropédalage. Je pense à la rue de Rivoli où la moitié de la rue est devenue une piste cyclable. Comme si on faisait un rétropédalage de ce point de vue là. C'est pour ça que je pose la question qu'est-ce qui se passe dans notre cerveau, quand on revient sur une décision, quand on rétropédale donc ?
Aurélien :
Ce que je connais comme modèle, par exemple l'apprentissage de la peur, c'est le modèle Pavlovien. Tu mets un coup de jus à quelqu'un ou tu associes une douleur à un son, quand tu ré-entends, ce son, tu as peur. Il y a une association qui se fait entre le cortex auditif et le centre des émotions, c'est même quasiment un branchement direct de l'audition sur le centre de l'émotion, qui sont à l'amygdale. Tu vas associer un son avec une peur et la douleur. Quand tu rejoues ce son, plus tard, tu vas avoir peur et si jamais tu n'as pas eu le coup de jus qui va avec ou la douleur, tu commences à te dire que peut-être que ce son, il ne fait pas mal. Petit à petit, il y a un dé-apprentissage qui se fait. Mais de nouveau, c'est une partie spéciale du cortex pré-frontal qui est en jeu et qui te désapprend. C'est un phénomène qui est actif de désapprendre, c'est ça qui est important. Tu dois désapprendre en étant exposé au stimulus et en faisant l'effort de désassocier.
Nicolas :
C'est une histoire de désassociation.
Aurélien :
C'est pareil, tu associes pédaler en avant avec le fait d'être sur le vélo et quand tu freines, tu ne dois plus aller en avant et donc tu dois dire : « Ce n'est pas parce que je suis sur le vélo que je dois aller en avant, je dois freiner, je dois arrêter de pédaler, je dois pédaler en arrière ou freiner avec une main.
Nicolas :
D'accord, mais je suis...
Aurélien :
Mais je pense que c'est...
Nicolas :
Ce dont je voulais parler, c'était de la mauvaise foi.
Aurélien :
J'avoue que d'un point de vue comportemental, je ne sais pas comme ça fonctionne. Mais je pense que c'est le fait de pouvoir prendre des décisions avec une contradiction ou se taire avec une contradiction. C'est-à-dire qu'il y a une contradiction qui donne lieu à la mauvaise foi. Quand tu es de mauvaise foi, c'est parce qu'il y a une contradiction entre un fait qui arrive et ce que tu penses, souvent il y a une raison derrière la mauvaise foi.
Nicolas :
D'accord.
Aurélien :
Je pense que c'est associé aux contradictions et la gestion des contradictions, ce n'est pas mon domaine. Ça devient des tâches comportementales plus complexes, mais plus c'est complexe, plus on est dans des parties antérieures, je pourrais regarder quelques petites choses sur ça.
Nicolas :
Ça veut dire que ce n'est pas lié au cortex pré-frontal ?
Aurélien :
C'est dans ces zones-là, encore une fois, c'est dans les fonctions exécutives et très développées.
Nicolas :
Il faudra que je me renseigne sur le fonctionnement du cerveau parce que je ne visualise pas les zones dont tu me parles et ça m'aiderait de voir comment s'est découpé.
Aurélien :
Le cortex, c'est l'écorce du cerveau, c'est ce qu'on voit souvent en photo, les circonvolutions. C'est la partie qui serait apparente si on enlevait la boite crânienne. Si tu enlèves cette écorce, à l'intérieur, il y a des gares d'aiguillages qui envoient telle information ici ou là, mais c'est un niveau d'intégration qui est assez faible.
Ensuite, en dessous, tu as les grandes fonctions vitales qui sont séparées du cortex. Ce n'est pas parce que tu ne penses pas à respirer que tu ne respires pas. La respiration, le rythme cardiaque, c'est géré par le tronc cérébral. C'est une structure qui est encore plus archaïque. On peut distinguer ces trois grandes structures et il y a aussi le cervelet qui serait une quatrième et qui sert à la coordination, à la gestion fine des mouvements. Il permet de lisser le mouvement, de processer l'information.
Par exemple, je veux porter ma main pour boire ce verre. Si tu n'avais pas le cervelet ta main, elle irait contre le verre peut-être un peu trop vite, tu renverserais de l'eau et puis, tu prendrais le verre, ça tremblerait et tu te le verserais dans l’œil.
Nicolas :
D'accord.
Aurélien :
Le cervelet va te permettre de t'adapter, il va t'aider à faire les mouvements fins et à les coordonner surtout.
Nicolas :
Si je récapitule, il n'y a pas de différence en terme de transport d'information que ce soit avec un frein à main ou un frein activé par le pied..
Aurélien :
À mon avis les grandes différences qu'il y a entre les deux, je dirais que c'est l'apprentissage du geste, qui peut être plus intuitif ou moins intuitif. Il fera peut-être intervenir des structures plus intellectuellement développées et après si la distance de freinage est identique et que la tâche devient automatisée. Je pense qu'il n'y a pas vraiment de différence.
Nicolas :
D'accord.
Aurélien :
Mais pour la sémantique, le terme rétropédalage est ce qu'il a la même signification en Hollande.
Nicolas :
Je ne sais pas du tout si c'est le même mot en hollandais. Même en anglais, je ne sais même pas comment ils disent pour rétropédalage.
Aurélien :
Oui, je pense que ce serait intéressant de voir si sémantiquement ça a la même signification.
Nicolas :
C'est vrai.
Aurélien :
Moi, je pense que, dans les grandes différences ce qui est important, ce serait de creuser la sémantique. Comme tu me poses des questions sur la mauvaise foi, je pense qu'en français, rétropédaler est associé avec le fait de revenir sur sa décision, je ne sais pas si c'est vraiment de la mauvaise foi de revenir sur sa décision. On a fait un truc et puis finalement, on le retire, on retire ce qu'on a dit.
Nicolas :
En l'occurrence la définition de rétropédalage en français, c'est : action de pédaler à l'envers, mais il faut que je regarde, que je cherche dans l'étymologie.
Aurélien :
Oui, parce que ce serait intéressant de comprendre si rétropédaler veut dire pédaler en arrière en continuant à avancer. Parce qu'aujourd’hui, ce que je fais quand je suis sur un vélo, si je rétropédale, mais je continue à avancer, ce qui dans ce cas fait très mauvaise foi. Et là, fait intervenir dans ton cerveau une discordance. Il y a un phénomène neurobiologique associé à la discordance, qui s'appelle la « mismatch ». Quand tu fais quelque chose de régulier et qu'il y a un signe irrégulier, il y a même une analyse électro-encéphalographique qui se fait sur ça. Mettons que tu donnes quatre fois le même son à quelqu'un et que le cinquième soit différent, alors tu as une réponse corticale qui identifie la différence. Auquel cas, rétropédaler peut faire un peu appel à ce mécanisme-là.
Nicolas :
D'accord.
Aurélien :
Parce que tu rétropédales, tu continues à avancer... Alors que dans d'autres pays, tu pédales, tu t’arrêtes, ou alors chez les enfants qui vont avoir un pignon fixe, tu rétropédales, tu vas en arrière.
Nicolas :
Très bien, merci encore de ton temps Aurélien, je vais regarder ça.
Aurélien :
Pas de problème, salut !
Dérapage contrôlé ?
une phénoménologie du rétropédalage.
Nicolas Duchêne sous la direction de Miguel Mazeri
ENSCI-Les-Ateliers - 2019