Podcast
Entretiens
Bibliographie
Coulisses
Entretiens
Herman Van Beveren
Decathlon International, BTWIN vélo urbain.
Retour
Nicolas :
À l'école, il aurait pu m'en prêter un, mais il n'aurait pas pu me le laisser pendant trois mois. Parce que forcément, il y a plusieurs étudiants qui en ont besoin. De mon côté, j'ai une liste de questions, mais le but ce n'est pas forcement de la suivre. C'est bien si vous intervenez, si vous rebondissez sur des sujets qui vous paraissent intéressants à évoquer.
Herman :
Très bien ! Peut-être que je n'aurais pas toutes les réponses.
Nicolas :
Exactement ! Ce serait magnifique si vous les aviez. Encore que je ne cherche pas des réponses, je suis là pour poser des questions.
Mais comme je vous le disais, je m’intéresse au rétropédalage. J'ai pu aller à Copenhague et faire le comparo parce que j'ai habité un peu en Belgique donc je connais un peu, j'étais à Tournai à Saint-Luc. Je n'ai pas passé beaucoup de temps aux Pays-Bas, mais ça reste un des temples du vélo. Ma première question, c'est, qu'est ce que vous pouvez me dire à propos du rétropédalage ? C'est une question très large, mais qu'est ce que vous avez à l'esprit quand on évoque le rétropédalage ?
Herman :
Moi ce qui me vient à l'esprit, à titre personnel, quand j'étais petit, j'avais un vélo comme ça, à rétropédalage, et c'était génial. Parce qu'on pouvait freiner, facilement, tout en ne tenant le guidon qu'avec une main et en tenant quelque chose dans l'autre. Ça, aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile. Quand vous avez deux freins sur le guidon, que vous roulez avec une main et que vous voulez freinez et bien vous allez appuyer sur le guidon. C'est difficile. Il faut freiner avec les deux mains sur le guidon sinon on risque de tomber. Moi, je trouve que c'est pratique le rétropédalage.
Nicolas :
Oui et puis c'est un freinage quand même très différent du frein à jantes classique !
Herman :
Oui, moi ce que j'aimais bien aussi, c'est que c'est un système de freinage qui a tendance à très peu s'user. Contrairement à des freins sur jantes avec des patins ou des disques qui s'usent et qu'il faut remplacer de temps en temps, c'est très durable.
Nicolas :
Après, c'est plus d'entretien.
Herman :
Le rétropédalage ? Non !
Nicolas :
Quand on le démonte, c'est vite plus compliqué.
Herman :
Ah peut-être, mais il y a vraiment très peu de problème dessus.
Nicolas :
Oui, c'est très fiable !
Herman :
Oui, c'est très fiable comme système.
Nicolas :
Je rebondis sur le fait que vous ayez commencé en parlant de quand vous étiez enfant. Je sais que chez Décathlon vous avez fait des poignées de frein pour les enfants justement parce que la prise en main n'était pas adaptée. Enfin, les leviers de frein en l’occurrence. Est ce qu'on pourrait en déduire que ce n'est pas un geste naturel ? D’où vient le constat que les enfants aient du mal à freiner avec les mains ?
Herman :
Oui, pour les enfants, c'était la taille des freins. Les freins qu'on peut trouver sur le marché ne sont pas adaptés. Les enfants ont des petites mains et les leviers de freins sont trop grands, donc le gamin, il a du mal à prendre les freins. Nous, on a développé des leviers qui sont proches, pour que le gamin, il puisse freiner facilement. Ça marche drôlement bien, c'est bien fait ces systèmes.
Nicolas :
Oui oui ça marche. C'est vrai que quand on voit la complexité du geste qu'il faut faire et par rapport à ce que vous disiez par rapport au déséquilibre que ça peut créer.
Herman :
Mais le plus gros problème pour les gamins, c'était pour aller chercher le levier.
Nicolas :
D'amener les mains vers l'avant.
Herman :
Alors que maintenant, c'est tellement proche, ma petite qui a cinq ans, elle freine dur comme fer avec ça.
Nicolas :
D'ailleurs, le freinage avec du rétropédalage, par exemple, c'est un freinage plus lent qui provoque presque une autre façon d'utiliser son vélo, ce n'est pas la même appréhension quand on peut freiner vite et fort, que quand on doit plus anticiper ou des choses comme ça.
Herman :
Souvent, les vélos avec rétropédalage sont équipés aussi d'un frein avant. D'ailleurs, je pense que c'est obligatoire par la norme européenne. C'est vrai que c'est un peu plus progressif comme système de freinage, mais si on donne un grand coup, ça bloque aussi.
Nicolas :
Oui aussi ! Une des choses qui m’intéresse, c'est ce qu'explique l'anthropologue, Bruno Latour. Il dit que, souvent, les techniques sont des discours, des médiums. Elles disent quelque chose, la technique dit quelque chose. En l’occurrence, dans le cas du vélo, on se rend compte que la technique de freinage en dit beaucoup sur la façon de conduire du cycliste. Est-ce que vous pensez que les choix techniques que vous faites sur vos produits vont avoir un impact sur la conduite du cycliste ? Sur son comportement sur la route ?
Herman :
Nous, on ne s'est jamais posé cette question, on vend des produits partout en Europe sauf au Danemark !
Nicolas :
Sauf au Danemark ! Vraiment ?
Herman :
Oui, non, mais pas au Danemark pour l'instant en tout cas. Le rétropédalage est vraiment quelque chose de très présent. Ça commence à être présent aux Pays-Bas, c'est un peu présent en Allemagne aussi. Je pense qu'un jour, on va y venir. Mais je pense que ce n'est pas simple de faire passer les vélos aux normes européennes justement au niveau du freinage.
Nicolas :
Il y a beaucoup de norme ? Je ne me rends pas compte.
Herman :
Tout est normé sur un vélo. La capacité de ralentir le vélo est testée avec des machines et le système de freinage rétropédalage, on m'a toujours dit ici que ça avait beaucoup de mal à passer les normes. Donc eux le vendent, souvent sur un marché local, mais nous comme on fait un modèle qui doit se vendre partout en Europe, c'est quand même une vraie contrainte. Après aussi, la population française n'est pas du tout prête à accepter le rétropédalage, ils ont du mal. »
Nicolas :
Vous dites la population française, je crois savoir que vous êtes Belge ?
Herman :
Oui, on le sent, aujourd'hui quand on parle du rétropédalage, ça ne parle pas aux Français. Il faudrait qu'on le teste , parce que nous, on n'a pas de vélo avec rétropédalage.
Nicolas :
J'ai fait pas mal d'entretiens et on me disait que ce n'est pas le même « coût » ! » Forcément, dès qu'on commence à arriver dans des torpédo derrière avec du frein à rétropédalage, tout de suite ça devient des pièces plus complexes.
Herman :
Nous, Décathlon, on veut rendre le sport accessible au plus grand nombre, via notamment des prix bas pour la qualité donnée. Ceci dit ce n'est pas le coût du système de freinage qui nous fait décider de ne pas le faire. Ce n'est pas du tout un raisonnement coût, c'est plutôt un raisonnement de demande. On n'a pas de clients qui nous demandent ça. Personne ne demande ça !
Nicolas :
Oui je me doute que c'est une question de demande. Tout à l'heure vous disiez que la population française n'est pas prête à ça, est-ce que vous pensez que c'est dû aux infrastructures urbaines ? En tout cas, en terme d'aménagement urbain ?
Herman :
Vous, vous êtes un petit peu plus profond dans le sujet donc vous savez que ça ralentit moins vite qu'un système de freinage normal. Mais celui qui ne l'a jamais utilisé ne le sais pas, donc il ne se dit pas, je vais acheter un vélo avec un freinage comme-ci, ou comme ça parce que je dois pouvoir m’arrêter vite. Il part du principe que les vélos s'arrêtent vite ! Tous. C'est comme une voiture, quand on achète une voiture, on ne se dit pas, je vais acheter telle voiture pour pouvoir ralentir vite. Les voitures freinent normalement.
Nicolas :
Après elles ont toutes leurs manières de freiner, mais en effet elles freinent toutes.
Herman :
Elles freinent toutes sur à peu près les mêmes distances ! À quelque chose près ! C'est vrai que quand il y a plein de pistes cyclables, on est plus tranquille. Le fait de pouvoir ralentir plutôt que de devoir freiner, peut être que c'est plus approprié. Mais en tout cas, je raisonne là avec vous, mais ce n'est pas du tout réfléchi ça chez nous ! On ne s'est jamais dit, on n'a pas mis de rétropédalage en France parce que les gens préfèrent aller plus vite qu'ailleurs. Je ne pense pas.
Nicolas :
Oui, je ne sais pas du tout. Je vous pose cette question parce que je sais qu'au Danemark, ça a des incidences. Par exemple sur les feux tricolores qui vont avoir des passages, qui vont être fait pour, comme vous le disiez, plus ralentir que freiner. Après, il y a aussi cette ambiguïté du vélo qui est prioritaire sur les piétons au Danemark, mais voilà il y a tout un écosystème qui est pensé autour d'une technique et ça a des répercussions.
Herman :
Moi ce que je pense, c'est qu'aujourd'hui avec le rétropédalage, on ne peut pas mettre un dérailleur. On ne peut y mettre que le système de vitesses dans le moyeu, qui coûtent relativement cher aussi. Le Danemark, c'est un pays très plat, peu vallonné, et donc a un besoin de vitesse faible. La France, c'est un peu plus vallonné que le Danemark, donc il y a un besoin de vitesse plus important, enfin un nombre d'écartement de vitesses plus important. Au Danemark, je pense que le prix de vente moyen d'un vélo, c'est sept cent euros quelque chose comme ça, le Français moyen, il dépense deux cent euros à son vélo. Il n'est pas du tout prêt à payer sept cent euros. Si nous, demain, on faisait une offre pour des vélos à sept cent euros, on en vendrait vraiment très peu.
Nicolas :
J'imagine que vous avez des vélos de type course.
Herman :
Oui, mais ce n'est pas du tout pareil ! Le système dont vous parler, il ne s'applique qu'à des vélos ville. Aujourd'hui, la gamme de prix des vélos de villes commence à partir de cent cinquante euros jusqu'à six cent euros. Quand on voit l'écartement en nombre de ventes en France, la messe est dite.
Nicolas :
Oui, j'imagine.
Herman :
Les Français n'investissent pas sur le vélo, ou très peu. D'ailleurs en France, il y a peu de cyclistes, il y a un virgule huit pourcent de la population qui se déplace à vélo au quotidien contre dix en Belgique, quinze en Allemagne, vingt-cinq aux Pays-Bas. Au Danemark, ça doit être pareil vingt-cinq pour-cent plus ou moins. Au niveau mondial, c'est sept, donc la France fait trois fois moins bien que la moyenne mondiale.
Nicolas :
Je sais que le gouvernement actuel veut multiplier par trois le taux de cycliste en France.
Herman :
Comme vous le savez, je suis belge. En Belgique, les clients demandent un bon vélo. En France, les clients demandent un vélo pas cher. Je généralise un peu, mais c'est un peu ça quand même. Quand on est en magasin et qu'on discute avec un client, il vous dit : « Oui, mais c'est quand même cher pour un vélo. » Alors qu'en Belgique, on vous dira : « Oui, mais est ce que c'est vraiment bien pour ce prix-là ? », ce n'est pas pareil.
Nicolas :
Oui, vous le disiez les Belges utilisent beaucoup plus leur vélo pour aller au travail par exemple. Est-ce que vous diriez que le fait que les Français veuillent mettre moins cher dans leur vélo, c'est dû au fait qu'il y a un regard différent sur le vélo, presque une condescendance, qu'il soit considéré comme un moyen, entre guillemets, pauvre ?
Herman :
Ça peut-être ! Mais je ne suis pas français donc je ne le sais pas. En Belgique en tout cas, ce n'est pas le cas. En Belgique rouler à vélo, ce n'est pas du tout pour les pauvres. Au contraire, c'est même plutôt tendance de se déplacer à vélo. Je pense que vous êtes français donc c'est plus facile pour vous de répondre. Est-ce qu'on est mal considéré en France quand on roule à vélo ? De moins en moins non ?
Nicolas :
Oui de moins en moins, pour plusieurs types de raisons, mais en effet, il y a ce côté d'être cool. Mais c'est peut-être comme pour la voiture il y a 40 ans, la voiture qui était synonyme de liberté, aujourd’hui ça se transfère sur le vélo parce qu'on se rend compte aussi des contraintes environnementales. Pour ma part, j'habite à Paris et ça devient nécessaire d'après moi. Parce que si tout le monde laisse une voiture vide, ça gâche beaucoup de place. Déjà que la ville est très occupée donc on perd encore plus de place à avoir des voitures vident qui stationnent.
Herman :
Oui, si j'ai bien compris, à Paris, soixante-quinze pour cent de la surface totale de la ville est dédié à la voiture... Vous imaginez !?
Nicolas :
C'est monstrueux.
Herman :
À la voiture. Plus qu'aux maisons, plus qu'aux parcs. Quand on va à des endroits avec beaucoup de cyclistes. Par exemple avec trente ou quarante ou cinquante pour cent de cyclistes et que vous regardez dehors, effectivement vous avez des cyclistes. Mais vous avez toujours l'impression qu'il y a encore beaucoup de voitures ! Même s'il n'y a que dix ou quinze pour cent des déplacements qui se font en voiture, c'est tellement gros une voiture. C'est comme une vache dans votre salon, ça se voit.
Nicolas :
On ne voit que ça oui. C'est vrai.
Herman :
On ne voit que ça ! Moi, j'habite à Gand, il y a trente pour cent des déplacements qui se font à vélo. Moi le matin, je m'amuse à compter les voitures et le nombre de vélos et il y en a plus ou moins autant, c'est pas mal équilibré ! On a quand même l'impression de ne pas voir beaucoup de vélos et de ne voir que des voitures. Pourtant, il y en a autant.
Nicolas :
Oui, ce n'est pas gros un vélo.
Herman :
C'est petit, c'est lent, c'est discret, c'est silencieux.
Nicolas :
Ce qui fait peur aussi aux automobilistes, ce qui rend difficile la cohabitation avec la voiture. Je ne sais pas comment ça se passe à Gand ?
Herman :
Il y a énormément d’investissement au niveau des pistes cyclables qui ont été faits. Ils ont carrément fermé l'accès de la ville aux voitures, c'est fini, on ne peut plus rentrer dans la ville avec une voiture. Soit c'est à pied, en transport en commun ou à vélo, ou en taxi.
Nicolas :
Ou en Tram aussi non ?
Herman :
Taxi ! Mais taxi, c'est très peu utilisé chez nous ! La ville, je vous invite à la visiter, c'est vraiment devenu un havre de paix. Il n'y a pas de bruit. C'est plus silencieux en ville qu'en-dehors des villes maintenant. Parce qu'il n'y a pas de voitures.
Nicolas :
Si ce n'est le bruit du Tramway.
Herman :
Oui, mais ça, c'est vraiment bien fait. Au début, la population s'opposait un peu, mais finalement tout le monde est content et la ville vit bien. Il y a toute une zone qui est interdite aux voitures.
Nicolas :
Un hyper centre, du côté du château ?
Herman :
Oui, mais c'est grand. C'est quasiment toute la ville ! C'est comme si on interdisait les voitures dans tout le centre de Lille.
Nicolas :
J'ai bien compris que vous faisiez des produits qui « étaient destinés à être vendu dans le monde entier, en tout cas en Europe, mais pas au Danemark.
Herman :
Si au Danemark aussi, mais nous n'avons pas de magasin au Danemark.
Nicolas :
Non mais je rigole. Dans la zone de Lille, la métropole européenne de Lille très précisément, ce n'est pas très vallonné. Ça se rapprocherait de ce qu'on peut trouver au Danemark ou aux Pays-Bas.
Herman :
Non ce n'est pas vrai. Ça a l'air plat, mais quand vous faites du vélo, vous vous rendez compte que ce n'est pas plat. On a besoin de vitesses, il y a deux ou trois rues qui sont, en effet, cent pour cent horizontales, mais ce n'est pas si plat que ça. C'est vrai que ce n'est pas la montagne, mais il ne faut pas une longue pente pour avoir une impression de pente, il suffit d'une petite pente.
Nicolas :
J'aurais passé mon été à Lille et j'ai tout fait à vélo et c'est vrai que par exemple le grand boulevard, ça monte un peu, mais ça reste faisable si vous avez trois vitesses.
Herman :
Oui ça passe, je sais. Même sans vitesse ça passerait.
Nicolas :
Après, c'est du confort.
Herman :
Oui tout à fait.
Nicolas :
Si vous voulez, je suis plus gêné par les pavés que par les montées. Ça, c'est une vraie problématique sur les vélos, c'est terrible.
Herman :
Ce qu'il faudrait qu'ils fassent, c'est qu'ils dédient des rues complètent pour les vélos.
Nicolas :
C'est ce qui a été fait à Gand ?
Herman :
Oui, ils ont peint la rue en rouge. Ils ont déclaré au début du trajet que le cycliste est prioritaire dans cent pour-cent des cas et qu'il est interdit de dépasser le cycliste avec une voiture. Le cycliste, il roule à quinze de l'heure ou vingt donc la voiture, elle reste derrière. Ils ont créé des routes, parce que la ville de Gand est une vieille ville, donc ce n'était pas possible d'aménager, soit disant, des nouvelles pistes cyclables partout. Ils ont pris des rues transversales qui connectent la ville et c'est devenu des rues cyclistes et ce n'est pas des rues à pavés. Parce qu'il y en a du secteur pavé là-bas aussi, mais ils l'ont laissé aux trams.
Nicolas :
Oui, ils ont créé un maillage urbain.
Herman :
Oui, voilà, ils ont créé un maillage urbain. Moi, j'habite à cinq ou six kilomètres de la ville et avant j'y allais en voiture, maintenant, j'y vais à vélo. Avant j'y allais de temps en temps en voiture et la moitié du temps à vélo, maintenant, c'est cent pour-cent du temps à vélo.
Nicolas :
Vous gagnez du temps.
Herman :
Oui, c'est pratique, on se gare où on veut, ça ne coûte rien. C'est devenu sécurisé. Parce qu'avant, c'est vrai qu'entre les voitures et tout, mes enfants pour aller à l'école, entre les voitures c'est quand même un peu « touchy ». Maintenant ma fille va aller à l'école toute seule, c'est de la piste cyclable tout le long, cent pour cent du trajet.
Nicolas :
C'est rassurant !
Herman :
Oui, c'est plus rassurant. Il faut encore faire attention, mais, mais on ne risque pas de se faire attaquer par-derrière. Seulement sur les coins de rue ou une voiture pourrait prendre à droite, ça, c'est dangereux.
Nicolas :
Dans mon courriel, j'ai présenté la question de la mobilité douce et on m'a renvoyé vers vous. C'est clairement un enjeu de société, dans quelle direction va B'twin concernant cette problématique de la mobilité douce ? Comment vous voulez vous positionner par rapport à ça ?
Herman :
Historiquement, chez Décathlon ont a accordé beaucoup d'attention au cyclisme, mais surtout aux VTT et la route. Très peu aux vélos de ville. Nous ce qu'on a fait, c'est qu'on a créé un département dont je m'occupe. Il est centré uniquement sur le vélo ville. Ce qu'on fait, c'est qu'on développe des vélos de ville normaux, des vélos mécaniques, on va dire et des vélos de ville électriques.
Pour l'instant, nous sommes en train d'élaborer notre offre. Dans deux ou trois ans, elle sera aboutie, si l'on peut dire. On aura couvert tous types d'utilisateurs vélo de ville qui peut exister, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Nous, on investit fortement là-dessus parce que c'est vrai que c'est super bon pour la santé. Celui qui passe au vélo de ville, la première année, il perd six kilos. Laisser sa voiture et passer au vélo, c'est beaucoup moins de stress, un état de forme permanent. Ce matin, j'ai été cherché le pain à vélo. J'ai fait trois kilomètres de vélo, quinze minutes, ou un bon dix minutes d'effort. Ce n'est pas beaucoup, mais c'est infiniment plus que celui qui a pris son café et qui est monté dans sa Clio.
Nicolas :
Et qui a attendu d'arriver.
Herman :
Et qui a attendu que ça se passe. Nous, on fait des produits qu'on pourra utiliser dans les villes et on les rend accessibles parce qu'un vélo ville ça coûte cher. Il y a une béquille, les gardes boues, la lumière, il faut un cadenas. Tout le pack ça fait que le vélo, il coûte vite un peu cher. Nous, on essaye d'avoir des vélos à un prix abordable et je pense que c'est le prix, ça joue quand même dans la décision des gens. Nous on l'a vu avec le bonus du vélo électrique qui a eu un impact incroyable en France et à ce niveau là. L'année dernière, c'est hallucinant comment les Français, ils ont été séduits par ce bonus.
Nicolas :
Par le dispositif qui a été mis en place.
Herman :
En plus, il a été arrêté en janvier, le 31 janvier, donc nous on l'a vu sur le compteur économique du jour au lendemain. Je peux vous dire qu'on a divisé le chiffre par deux, du jour au lendemain. On a multiplié par deux du jour au lendemain quand il y a eu le bonus. Le budget ça joue quand même.
Nicolas :
Oui bien-sûr. Personnellement, ce qui me gêne dans la décision des pouvoirs publics français d'aider au financement d'un vélo électrique, c'est que ça se fait au détriment de l'aménagement urbain. Si les gens achètent des vélos électriques, mais que de l'autre côté il n'y a pas toutes les infrastructures pour permettre de faire du vélo en sécurité, c'est comme si on finançait de la consommation qui va finir dans un garage.
Herman :
Oui, mais je ne suis pas tout à fait d'accord avec ça. Il y a deux façons de voir les choses.
Il y a la vôtre qui est de dire, il faut d'abord étaler plein de pistes cyclables et après, on fera du vélo dessus ce qui est sûr. Si on met des pistes cyclables, on sait que dans les villes équipées de pistes cyclables, les taux d'utilisation de vélo sont beaucoup plus forts. Nous, on le voit dans nos chiffres, on le sait précisément.
Par contre, à l'époque, quand la voiture a été inventée, on n'a pas d'abord fait les autoroutes ! On a d'abord fait des voitures, après on s'est dit : « Mince, il faudrait des routes, des autoroutes pour ses voitures. ». Je pense que ce sont un peu les deux. Les pouvoirs publics mettent des pistes cyclables parce que sinon il y a beaucoup trop d'accidents. Je pense que ce sont les deux, je pense que ce n'est pas d'abord les pistes et après les vélos, c'est d'abord beaucoup de vélo et après les pistes viennent.
Nicolas :
Oui, mais je comprends aussi ce point de vue. Si beaucoup de gens se mettent à faire du vélo et qu'ils se rendent compte qu'il n'y a pas les infrastructures, ils vont aussi se plaindre à leurs élus.
Herman :
Après, je ne connais pas très bien les élus en France, mais vous l'avez dit, aujourd'hui est-ce que le vélo est un symbole de sympathie, de modernisme en France, est-ce que les élus vont à vélo au travail ? Où est-ce qu'ils y vont avec un chauffeur privé ? Chez nous, je sais qu'il y a plein d'élus qui vont à vélo au travail, c'est très bien vu de faire du vélo. 
Nicolas :
C'est de la communication.
Herman :
C'est très bien vu. Chez nous monsieur météo, parce qu'en France ça existe aussi, le gars qui lit la météo tous les jours. Le gars fait souvent son bulletin météo à partir de son vélo. Il dit : « Écoute, je m'arrête là, parce que je fais du vélo, je suis en train d'aller au bureau. » Il répond aux questions de la météo. Dès qu'il fait beau le gars dit : « Aujourd'hui, c'est une belle journée pour aller faire du vélo. » Je ne sais pas si en France, ils disent, c'est une belle journée pour aller en terrasse. Le sujet est tout le temps présent.
Nicolas :
 Oui.
Herman :
Je pense que ça va dans le bon sens en France. On en parle, ils en veulent plus. Je pense qu'a Paris, on note une augmentation sensible du nombre de vélos. Ceci dit ça reste difficile. J'ai fait quelques magasins là-bas, donc j'ai visité la ville à vélo et il y a des endroits qui sont particulièrement dangereux. C'est impossible d'apprendre à faire du vélo aisément là-bas. Une fois qu'on sait très bien en faire, ça va encore.
Nicolas :
C'est vrai.
Herman :
Je pense que pour que le cycliste se sente plus à l'aise, il faut des encouragements positifs. Je pense qu'il faut aussi sanctionner les automobilistes qui les mettent en danger, tout simplement. Aujourd'hui, nous, on fait du vélo entre midi et deux, avec les équipes on fait cinquante bornes à midi on fait ça à vélo de course. Combien de fois on se fait vraiment agresser, attaquer par les voitures.
Nicolas :
C'est constant !
Herman :
C'est dangereux une voiture. Je ne sais pas si vous êtes déjà tombé à vélo, moi, je l'ai expérimenté à plusieurs reprises, ça fait très mal.
Nicolas :
Après, tout dépend de la vitesse, c'est sûr que si c'est avec un vélo de course.
Herman :
Oui, mais même avec vélo ville, ça fait très mal ! Souvent, on n'a pas de casque, on roule souvent sans casque, parce que c'est normal, on roule à quinze-vingt à l'heure plus ou moins. Même si je conseille un casque. Mais c'est un tout, faut toute une politique si on veut vraiment qu'il y ait plus de vélos
Nicolas :
Je suis complètement d'accord avec ça.
Herman :
Nous, on essaye de communiquer aux clients sur les bienfaits. En septembre, on va essayer d'avoir un challenge pour remettre les gens au vélo ou pour en mettre certain au vélo. On peut essayer de faire des choses, mais tout seul on ne peut pas tout faire. Après, il y a l'indemnité kilométrique des vélos.
Nicolas :
Qui n'est pas obligatoire !
Herman :
Un, qui n'est pas obligatoire ; deux, qui est plafonnée à deux cent euros.
En Belgique, je pense que c'est très mal vu si vous ne le faites pas, donc tout le monde le fait. C'est déplafonné, ce n'est pas deux cent euros, ça peut être deux cent euros par mois si vous faites beaucoup de kilomètres. Ce qu'on voit, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui habitent à dix, quinze ou vingt kilomètres de leur travail, qui prennent justement le vélo pour y aller parce qu'ils sont dédommagés à vingt-deux ou vingt-quatre cents le kilomètre. Si on fait trente kilomètres par jour, ça fait huit ou dix euros par jour. C'est énorme. Ça permet de rembourser aussi des vélos de très hautes qualités, parce que quand on roule autant, on fait beaucoup de kilomètres, il faut vraiment un très bon vélo.
Nicolas :
Oui, il faut de la mécanique de qualité.
Herman :
Bas sinon ça use oui. Tout à fait ! Peut-être que ça viendra.
Nicolas :
Parce qu'aujourd'hui, vous avez une offre qui est principalement sur les vélos de ville, loisirs. Je vois, ce sont les Elops que vous avez sortis.
Herman :
Oui, on en parlait un petit peu. Notre gamme Elops, ce sont des vélos ville, mais il manque des vélos dans la gamme pour un usage très régulier. Ils vont arriver normalement l'année prochaine. Par contre, on a la gamme hoprider, qui est très bien. Ça, ce sont vraiment des vélos de ville pour beaucoup rouler. Ceci dit, le client qui achète un Elops, il fait beaucoup moins de distance aussi. C'est souvent un client qui recherche une position hyper confortable, qui utilise beaucoup son vélo, mais pour de très courtes distances, finalement le vélo fait peu de kilomètre donc ça va.
Nicolas :
On pourrait parler en effet des différentes positions ou des différents types, parce que les vélos de types hollandais, qui ont une position droite, avec une potence très haute, un guidon très haut aussi, c'est du confort de conduite. Si vous voulez la perception que l'on a de l'environnement qu'il y a autour de nous quand on est droit comme une tour de contrôle, elle est complètement différente.
Herman :
Oui tout à fait !
Nicolas :
On peut découvrir un environnement d'une autre manière. Tout à l'heure, vous disiez que c’était apaisant ou quelque chose comme ça, ça retire du stress, vraiment la posture a un impact aussi.
Herman :
La posture a un impact énorme sur la vitesse. C'est ce qui impacte le plus parce qu'au-delà des quinze kilomètres par heures, le premier ennemi, c'est le vent. La position fait tout. Sur la gamme hoprider, qui est plutôt du vélo de ville longue distance, comme on la nomme, on fait trois ou quatre kilomètres par heures en plus en moyenne avec exactement le même effort, pas une goutte de sueur en plus.
Nicolas :
Parce qu'il y a une inclinaison ?
Herman :
Oui ! Parce qu'on est positionné différemment dessus oui !
Nicolas :
C'est-à-dire qu'on est plus penché.
Herman :
Oui, on est plus penché en avant. Après, sur les vélos de course, on est encore plus penché en avant et on va encore plus vite.
Nicolas :
J'avais regardé les championnats européens, le contre-la-montre et c'est vrai que les casques, les guidons, tout est étudié pour.
Herman :
Oui la prise au vent, tout réside là-dedans. Après un vélo route, c'est inutilisable en ville pour quelqu'un qui n'est pas habitué à ça, c'est très nerveux, on ne voit pas très bien, c'est très rapide donc c'est surprenant.
Nicolas :
Alors que pourtant, c'est le même objet.
Herman :
Oui, mais c'est comme une voiture, une voiture de course et une Clio. C'est quatre roues.
Nicolas :
Je voulais vous parler un peu du vélo libre service. Parce qu'à Lille, ce sont des B'twin. J'ai pu en essayer un, pour être très honnête je n'ai pas trouvé ça super confortable et en plus de ça, vu que ce sont des modèles de séries qui ont été détournés pour servir l'usage, en tout cas, c'est ce que donne l'impression, vous savez la fixation pour les bloquer dans les bornes, ça créé un déséquilibre. Je voulais savoir si vous alliez travailler sur cette notion du vélo libre service.
Herman :
Normalement, non, ce n'est pas trop notre business. Nous, on est plutôt destiné au grand public. C'est maintenu en place, mais nous, on ne fait normalement pas du libre-service.
Nicolas :
Pourquoi ça ?
Herman :
Ce vélo coûte très cher, c'est un parc qui est entretenu régulièrement, même si parfois vous pouvez en rencontrer un qui ne marche pas très bien. L'expérience n'est pas terrible, parce que le vélo est lourd, donc quand on roule avec, on se dit que le vélo B'twin n'est pas terrible. Le vélo il est juste tout simplement trop lourd. Si on fait un vélo classique, ça s’abîme trop vite, ces vélos là roulent énormément. Je pense qu'il y a dix utilisations par jour quelque chose comme ça.
Nicolas :
Ça peut vite faire trente kilomètres.
Herman :
Oui, dix mille kilomètres par an, c'est pas mal pour un vélo ville.
Nicolas :
Oui, mais je me doute qu'il est question de robustesse. On l'a vu avec les start-up qui ont essayé de rentrer sur le marché des vélos sans bornes et qui sont arrivé avec des vélos à deux cent euros.
Herman :
Oui non, ça ne marche pas ça ! Ça dure deux semaines. Mais le concept de ces vélos libre service qui traînaient partout d'un point de vue théorique, c'est génial.
Nicolas :
D'un point de vue de l'espace ça l'est beaucoup moins.
Herman :
Oui, mais si l'effort est maintenu, je suis sûr que les villes se seraient organisées pour trouver de la place. Je pense que le système d'un vélo ville libre service que l'on peut laisser n'importe où, ne peut pas marcher dans une ville comme Lille parce qu'elle n'est pas assez verticale. Il n'y a pas assez d'habitants au kilomètre carré. Pour que ça fonctionne, il faut que quand vous sortiez de chez vous, il y en ait.
Nicolas :
Qui marche.
Herman :
Oui, qui marche, mais on va faire abstraction de ça, admettons qu'ils marchent.
Il faut qu'il y en ait et pour qu'il y en ait, il faut qu'ils soient utilisés beaucoup pour le financer, donc il faut beaucoup d'habitants, comme en Chine. Même en Chine, ça ne marche pas. Je suis allé Shanghai en mars 2017 et en mars 2018, ça venait d'arriver sur le marché en mars 2017, c'était massif et ça marchait très bien, tous les vélos marchaient parce qu'ils étaient tous neufs. L'année dernière, j'y suis retourné, la présence avait été divisée par cinq. Ils ont exactement les mêmes problèmes qu'ici, les vélos s’abîment, ils cassent, les gens les jettent, ils les rangent chez eux, ils les gardent. Tout est imaginable, mais ça a remis beaucoup de gens sur le vélo. Moi, j'y crois, je pense que le vélo de ville libre service, c'est très bien, quand on ne peut pas garer son vélo chez soi, dans un hyper-centre, c'est très bien.
Dérapage contrôlé ?
une phénoménologie du rétropédalage.
Nicolas Duchêne sous la direction de Miguel Mazeri
ENSCI-Les-Ateliers - 2019