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Mathias Fontaine
Direction de la mobilité à la Métropole Européenne de Lille.
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Nicolas :
Non, c'est sûr. Vous parliez de la volonté de Lille d'être une capitale cyclable en 2020, ce sont des enjeux qui sont liés à quoi ? Même si je me doute qu'il y a un peu de tout, mais en tout cas pour la métropole.
Mathias :
Pour faire simple, on va dire que toutes les villes et métropoles qui s'engagent dans un développement moderne, un développement avec une vue d'avenir, ont un volet politique cyclable dans leurs projets de développement. Il y énormément de raisons. Pour en citer une, l'engorgement, ça induit un manque à gagner économique fort pour les territoires, les villes, les métropoles.
Pourquoi ? Parce qu'il y a des gens qui vont travailler qui n'arriveront pas à l'heure, il y a des marchandises qui doivent être transportées qui n'arriveront pas au bon moment, il y a des livraisons qui ne seront pas honorées, des contrats qui ne seront pas remplis, des missions qui ne seront pas réalisées. Il y a un manque à gagner. L'engorgement finalement, ça crée un climat qui est pénalisant pour l'attractivité d'une ville, touristiquement, en terme de lieu d'habitat, en terme de lieu de travail, en terme de lieu de vie tout simplement.
L’omniprésence de la voiture dans une ville nuit à son attractivité, à son rayonnement. Parmi tous ces éléments assez négatifs qui me servent à dresser un tableau assez sombre d'une ville engorgée. Le vélo peut apparaître comme une solution, une solution parmi d'autres, mais une solution forte.
Déjà, parce que c'est comme le Loto. Développer le vélo, c'est facile, c'est pas cher et ça peu rapporter gros. Le vélo ça ne prend pas énormément de place, on sait que maintenant les places en ville sont chères et il y a énormément de places réservées à la voiture, en circulation, mais surtout en stationnement.
Ce n'est pas forcément l'objet le plus joli que l'on puisse retrouver en ville. On s'est habitué à ne pas le voir, mais quand on ouvre les yeux, on le voit bien. Surtout, quand on fait l'expérience de villes qui sont déjà bien engagées dans une démarche de démotorisation, on s’aperçoit que la ville est bien plus agréable à vivre, quand elle est allégée de cette présence automobile
. Débarrassée non, mais allégée. Il y a la nécessité de remettre la voiture à sa place et de donner les places libérées à d'autres modes de déplacements, notamment le vélo comme le transport collectif comme d'autres.
L'usage de la voiture seul, donc l’auto-soliste, c'est la cible numéro un, dans la mesure où ça prend énormément de place et donc que ça pénalise énormément le fonctionnement même d'une ville ou d'une métropole. Le co-voiturage peut être une solution, la voiture partagée peut en être une aussi.
Nicolas :
L'ennemi ce n'est pas la voiture.
Mathias :
C'est la place qu'elle prend. Notamment, quand elle n'est pas utilisée, en heure de pointe quand tout le monde veut aller tout seul dans sa voiture, au même endroit, au même moment. Là, c'est inutile d'imaginer de continuer à écarter les murs, réduire encore les trottoirs, créer de nouvelles voies de circulation, ça n'a pas de sens, on sait très bien que ça ne fonctionne pas. Il faut mesurer les choses en termes d'espace-temps. Une voiture, si elle est utilisée par dix personnes dans la même journée, elle prendra dix fois moins de place qu'une voiture seule utilisée par une personne dans la même journée, tout simplement.
Nicolas :
Ce qu'avait essayer de faire Ivan Illich, qui justement a théorisé la contre-productivité. La contre-productivité est le fait qu'en soit la voiture a été construite pour gagner du temps, mais que plus il y a de voitures, moins on gagne de temps parce qu'il y a des embouteillages.
Mathias :
Oui, il y a un effet de seuil.
Nicolas :
Il a essayé de travailler là-dessus en essayant de mettre au point une méthode de calcul. Il a montré qu'en additionnant, je ne me rappelle plus très bien de toutes les variables, mais en fonction du coût de la voiture, de tout ce qui englobe ce moyen de déplacement, on se déplaçait à six kilomètres par heure, ce qui était l'allure de la marche. Presque, qu'il valait mieux marcher dans certains cas que prendre sa voiture.
Mathias :
Oui bien sûr ! Il y a une réponse assez cinglante du Maire de Grenoble lorsqu'il a dû répondre à des attaques des lobbys automobiles suite à la mise en zone trente de la plus grande majorité des rues de Grenoble, il y a quelque temps.
On lui a expliqué que ça allait pénaliser énormément, que ça allait pénaliser énormément la vitesse de déplacement des usagers, des voies, de ceux qui utilisent ce réseau de déplacement pour être en ville et la faire fonctionner, économiquement parlant. Lui a répondu que : « C'était quand même une aubaine de pouvoir enfin traverser la ville à trente kilomètres par heures. Puisque ce n'était absolument pas le cas.
Nicolas :
Parce qu'avant ce n'était pas le cas !
Mathias :
On en vient aussi à une notion qui est très intéressante et qui permet de relier les notions de développement économique d'une ville et d'augmentation de la qualité de la vie de la ville. C'est la notion de densité de déplacement à l'hectare.
Le nombre de personnes qui peuvent se déplacer sur un hectare urbain au même moment, ou sur une journée entière. Une ville qui consacre quatre-vingts pour-cent de son espace de circulation à la voiture, finalement ne va pas pouvoir autoriser le déplacement d'énormément de personnes, puisqu'en heure de pointe le taux d'occupation est de un virgule un dans un véhicule, donc on va dire qu'une personne va utiliser cinq ou six mètres carré pour se déplacer, c'est beaucoup.
En vélo, on est plutôt à un mètre carré et demi, un piéton, c'est un mètre carré, un bus, je pense qu'on est à deux mètres carré par personne, un métro un peu moins.
L'espace occupé par une personne pour se déplacer et au final, toutes les personnes qui veulent se déplacer en même temps donc la densité de déplacement possible dans une ville selon les modes de déplacements qu'elle propose et la surface qu'elle octroie à chaque mode, c'est une notion qui permet de montrer que quand une ville, par exemple, a fait le choix de consacrer une grande part de sa surface de déplacement à des modes qui sont plutôt économe en surface, elle a une densité de déplacement supérieure.
De fait, si chaque déplacement apporte un bénéfice économique à la ville, plus de déplacement, c'est plus de bénéfice pour la ville. Que ce soit par rapport à des affaires, par rapport à du tourisme, par rapport à de la consommation ou autre, quel que soit le motif de déplacement.
Nicolas :
Au-delà de l'enjeu écologique, c'est un enjeu de développement économique ?
Mathias :
Pour moi, c'est l'argument le plus prégnant. Celui qui a le plus de force, celui qui a le plus de chance d'être entendu.
Pour faire simple, on pouvait clamer il y a vingt ans : « Faites du vélo, c'est bon pour la planète. » ; il y a quinze ans : « Faites du vélo, c'est bon pour vous. » ; il y a dix ans : « Faites du vélo, c'est bon pour le porte-monnaie, votre porte-monnaie. ».
Finalement, aux oreilles des élus, ce discours là ne fonctionne pas tant que ça. Ce qui se passe actuellement, c'est que les budgets des villes, collectivités territoriales, ce sont énormément resserrés. De fait, il n'y a plus énormément de place pour les grands projets routiers, les grands contournements, les grands axes autoroutiers, les boulevards urbains, etc. Les grands parkings. Ça n'a plus tellement de sens budgétairement parlant, de développer ça. On rejoint l'histoire de Copenhague finalement.
Si Copenhague a tellement d'avance sur le développement du vélo dans sa ville, c'est parce qu'il y a quarante ans, dans les années soixante-dix, à une époque où toutes les autres villes avaient un budget assez élevé pour s'offrir le luxe de déployer des moyens de circulation pour la voiture en leurs sens. Copenhague n'avait pas l'argent. C'était une ville qui était ruinée. Au-delà du mouvement populaire qui a été extrêmement médiatisé, la véritable raison, elle est financière. C'est-à-dire que si le mouvement populaire a été tellement bien entendu, c'est parce qu'il n'y avait pas d'argent pour faire autre chose que développer le vélo et puis ça tombait bien parce que c'est ce que les habitants demandaient. C'est ce qu'ils ont fait et ils n'ont pas eu à défaire, puisqu'eux, ils n'ont pas fait de grands projets autoroutiers, ni de grands projets de voiries urbaines. Ils sont allés directement sur le vélo et ils ont une grosse longueur d'avance. Trente ans, quarante ans plus tard, économiquement ça fonctionne plutôt bien.
Parce que les grandes infrastructures, comme on l'a vu malheureusement à Gênes, si on ne les entretient pas, ça tombe, ça coûte cher. Quand on n'a pas l'argent pour les entretenir, c'est dangereux. Les infrastructures cyclables, elles sont beaucoup plus légères, beaucoup plus modulables et beaucoup moins coûteuses en terme d’entretien. Elles autorisent une activité économique plus forte.
Quarante ans après, Copenhague a réussit son pari et s'autorise même le luxe d'aller « Copenhaguiser » le monde entier. Et ils ont bien raison !
Nicolas :
Ils n'ont pas tort! Pour rebondir, à Utrecht, une ville juste en dessous d'Amsterdam, le fait que tout la ville soit cyclable, ça fait qu'il y a beaucoup de commerce de proximité parce qu'il n'y a pas nesoin de prendre la voitur, ça redynamise aussi les centres-villes.
Mathias :
Oui, oui, le cycliste est un client fidèle qui n'ira pas remplir son coffre une fois toutes les deux semaines ou une fois par mois dans des supermarchés de périphéries, mais il ira plutôt alimenter les commerces de proximité au quotidien. Les gens ne prennent plus la voiture pour aller au centre commercial et ça redynamise les centres-villes.
Nicolas :
Vous avez des exemples de villes ou de métropoles qui pour vous sont des exemples ? On vient de parler de Copenhague, y en a-t-il d'autres et pour quelles raisons ?
Mathias :
Oui, on a l'exemple des métropoles Flamande et Néerlandaise qui ont une similarité, en terme de géographie urbaine, avec Lille, en terme de météo aussi. Quand je dis Lille, ce n'est pas la métropole lilloise, c'est bien Lille.
Ici, je suis à la direction de la mobilité pour la Métropole Européenne de Lille. Quatre-vingt dix communes autour de Lille. Une métropole qui recouvre des paysages bien différents.
En terme d'exemplarité, quand on est sur la ville centre, effectivement, on peut avoir comme visé des villes comme Gand, qui a réussi la piétonnisation de son centre-ville, des villes comme Utrecht qui a réussi la redynamisation, la requalification de tout le quartier de la gare, sans perturber, grandement, le stationnement et la pratique du vélo dans sa ville. C'est quelque chose qui, quand la conduite de travaux n'est pas bien menée, peut pénaliser énormément l'attractivité et le fonctionnement de la ville elle-même. Ils ont réussi ça.
Actuellement, la ville de Lille est en train de refaire tout le quartier de la gare. On s’aperçoit que c'est compliqué. Pour garer son vélo, pour circuler, même les piétons ont du mal. Ça aurait pu être un bon exemple. Ensuite, ce qu'on va essayer de faire, c'est de travailler de manière territoriale.
De véritablement considérer que l'on ne fait pas du vélo à Lille, comme on en fait à Roubaix-Tourcoing, comme on en fait dans les Weppes, comme on en fait à Armentières, comme on en fait à Seclin. Il y a des pratiques cyclables et des regards que l'on peut poser sur le personnage cycliste même l'objet vélo qui sont différents selon les endroits où on habite sur la métropole. Il y a une culture cyclable à développer à Roubaix et Tourcoing. Cette culture cyclable, elle est déjà à Lille. À Lille, on va faire du vélo de proximité. À La Bassée, à Armentières, à Seclin, on va faire du vélo de rabattement vers les gares, ou alors, pour pouvoir prendre le train, donc avec un vélo en gare de départ et un vélo qui nous attend en gare d'arrivée, ou des transports collectifs en gare d'arrivée. Ou alors du vélo longue distance, avec une assistance électrique pourquoi pas, pour aller de Wavrin jusqu'au centre de Lille en passant par les voies vertes.
On a différentes pratiques, différents personnages cyclistes, différentes approches du vélo en tant qu'objet et en tant que moyen de déplacement qui sont à prendre en considération dans toutes communications et pédagogies que l'on va pouvoir apporter auprès du public lorsque l'on va s'adresser à lui et essayer de promouvoir et faire valoir notre politique cyclable.
Nicolas :
Les différentes typologies font de l'établissement de la pratique un vrai casse-tête, en plus des volontés de chaque élu, c'est vraiment un énorme Rubik's cube.
Mathias :
Mais on ne pourra pas convaincre le Maire d’Armentières des bienfaits du vélo, si on vient lui montrer comment on fait du vélo à Lille ! Ça n'a pas de sens, parce qu'on ne fera pas du vélo dans sa ville comme on en fait à Lille.
Nicolas :
J'imagine que même la démographie aussi peut avoir un impact.
Mathias :
Aussi !
Nicolas :
Parce que si, par exemple, c'est un quartier résidentiel assez familial, il n'aura pas du tout la même utilisation du vélo qu'un urbain.
Mathias :
Oui bien sûr oui, l'âge, les catégories socioprofessionnelles ne reçoivent pas le discours vélo de la même façon, oui bien sûr !
Nicolas :
Vous comment travaillez vous à l'établissement de ces zones cyclables, de ces aménagements cyclables ? Comment procédez-vous ? Vous faites des concertations, des choses comme ça ?
Mathias :
Alors, il y a deux choses. Pour bien connaître notre public cycliste, depuis quelques années, on organise le challenge Métropolitain du vélo.
Tous les ans, au mois de mai, pendant un mois, on incite les gens à pédaler, à enregistrer leur trajet par le biais d'une application. On anime cet événement en faisant en sorte que les participants du collège Verlaine se tirent la bourre avec les participants du collège Rimbaud, que les employés de B'twin, de Décathlon Campus montrent à ceux de B'twin Village qu'eux aussi savent faire du vélo, que ceux qui participent pour l'équipe Carrefour se bataillent avec l'équipe Auchan.
On est sur une animation d'un événement. On essaie de faire pédaler un maximum de personne pour leurs déplacements quotidiens, pour aller bosser, pour aller à l'école, pour aller à la bibliothèque, pour aller voir des amis, à la piscine. Mais surtout d'enregistrer les trajets ou de les reporter via un site internet.
Au final, nous, on récupère toutes les traces GPS. On récupère les profils des personnes, quel âge ? Homme ou Femme ? Catégorie socioprofessionnelle ? Sur quel type de vélo ils roulent ?
Ça nous donne une photographie très précise des pratiques cyclables et du public cycliste. Depuis 2013, on a quelques bonnes années de récolte.
Nicolas :
Vous avez des chiffres.
Mathias :
Statistiques qui permettent de regarder de manière annuelle, de manière saisonnière, de manière hebdomadaire, les différentes pratiques aux différents endroits.
On peut en déduire des matrices origine-destination de nos cyclistes, on peut regarder quels sont les lieux les plus pratiqués. Ça nous permet de savoir quels sont les lieux les plus demandés en terme d'aménagement.
Globalement, un des slogans que l'on sortait pour promouvoir le challenge métropolitain du vélo, c'est de dire : en participant au challenge, vous faites la promotion de votre trajet quotidien auprès des élus et des techniciens de la métropole. Parce que globalement, cette carte, cette accumulation de statistiques, cette photographie du territoire, ça va nous permettre nous, en tant qu'aménageur du réseau, de savoir où sont les besoins de déplacement.
On peut croiser ça par exemple avec la carte de cyclabilité que produit l'association droit au vélo, qui donne des notes de cyclabilité à différentes rues, qui est une carte collaborative, chaque cycliste peut venir donner sa note et noter les différents tronçons, les différents passages de son déplacement quotidien, en disant : là cinq sur cinq, là franchement un sur cinq parce que ceci, parce que cela. Nous, on croise ces notes de cyclabilité du réseau avec les pratiques.
On peut donc en déduire les tronçons à aménager, ceux à aménager d'urgence. Où est-ce que le niveau de cyclabilité, en terme de confort et de sécurité, est insuffisant alors qu'il y a une pratique cyclable.
On a aussi travaillé sur un schéma qui nous permet de définir une hiérarchisation de réseau, donc de faire émerger un réseau cyclable principal, qui est composé d'une cinquantaine de liaisons et sur lequel on focalise nos efforts d'aménagements, budgétairement parlant.
L'idée étant de mettre en continuité les liaisons. De cesser d'intervenir par opportunisme au rythme des interventions de voiries, globalement ça, c'était le mode de faire des années 2000, on disait : "On va refaire un tapis de voirie, que dit le schéma directeur cyclable, il dit qu'il faut faire un aménagement cyclable. Ok, on va peindre une bande cyclable".
Au final, on se retrouve avec une carte du réseau aménagé qui, lorsque l'on ne représente que les tronçons aménagés, on la regarde, on a du mal a...
Nicolas :
C'est en pointillé ?
Mathias :
À voir émerger une notion de réseau. On ne voit pas de liaison, on voit des traits, on voit une espèce de caryotype, mais on a du mal à comprendre le concept de réseau qui peut émerger de cette carte. On ne peut pas tout aménager d'un coup. On a fait émerger, par concertation, un réseau cyclable principal.
C'est l'étude métropole cyclable 2020 et on focalise les efforts d'aménagements pour mettre en continuité, pendant ce mandat, une vingtaine de liaisons sur les cinquante. Ça nécessite de créer des aménagements de types bandes, pistes, pour faire des linéaires cyclables, ça nécessite aussi et surtout, financièrement, de se focaliser sur des points durs, que peuvent être des traversées. Des ponts qui passent au-dessus de l'autoroute, des carrefours compliqués à aménager, des giratoires dangereux, des passerelles au-dessus des voies ferrées.
Tous ces éléments qui ne représentent que cent mètres sont des investissements qui approchent souvent le million. Mais qui, quand on regarde bien permettent de valoriser les aménagements et les investissements qui sont fait en amont et en aval. On a eu des cas où on avait aménagé cinq cent mètres de manière extrêmement qualitative, mais personne ne l'utilisait parce que ces cinq cent mètres, ils débouchent sur un endroit dangereux et constituent une forme d'impasse.
On avait des points noirs comme ça, qui pénalisaient extrêmement l'attractivité d'un réseau. On a des sources statistiques qui nous permettent d'appuyer les priorisations que l'on fait, de connaître la forme d'aménagement qui va le mieux correspondre aux besoins, de pouvoir dimensionner l'aménagement et s'assurer de la qualité et de la bonne adaptation des projets que l'on propose.
On est appuyé techniquement par l'association droit au vélo, qui est une association très efficace, implantée depuis longtemps sur le territoire et qui est l'association qui vient en représentation des usagers et de leurs besoins. Elle vient nous aider à placer le curseur idéalement entre ce que nous, on est capable de faire techniquement et financièrement et le besoin réel des usagers.
Nicolas :
En terme d'aménagement, on pourrait parler des feux du grand boulevard ?
Mathias :
Si on regarde la carte de chaleur que l'on arrive à produire en utilisant les tracés GPS de tous les participants du challenge, on s’aperçoit effectivement que le grand boulevard, surtout sur le tronçon central est très emprunté.
Nicolas :
Croisé-Laroche/Lille.
Mathias :
Le Croisé-Laroche jusqu'à Lille est un endroit extrêmement emprunté. En terme de confort et de sécurité, ce n'est pas trop mal puisqu'on est sur une piste cyclable. Nous, on peut donner, non seulement la position X-Y, mais aussi le temps de parcours donc la vitesse de déplacement. On voit bien que là, sur un aménagement d'une telle linéarité, c'est quand même problématique. Il y a des raisons.
Le problème est connu depuis longtemps, c'est peut-être la première piste cyclable de la métropole, historiquement parlant, en terme d'usage aussi donc c'est forcément quelque chose que l'on connaît. Le problème de déficience de cette piste a déjà été relevé. Mais c'est un endroit où les carrefours à feux qui viennent réguler chacun des croisements sont déjà extrêmement saturés. Qu'est-ce que cela veut dire qu'un carrefour à feu est saturé ?
Ça veut dire qu'un carrefour quand il est régulé par des feux, il va donner mode après mode un temps de passage pour chacun, avec un laps de temps de sécurité à chaque fois. Il faut donc faire passer le trafic des voies latérales du grand boulevard, le trafic des entrées et sorties du grand boulevard, le trafic des perpendiculaires au grand boulevard, le Tramway qui, lui aussi, a sa priorité au feu. Dans tout ça, de mémoire, on doit avoir un cycle qui ne dépasse pas deux minutes, c'est très contraint, il n'y a pas énormément de place.
Actuellement la phase de vert vélo n'est même pas une phase exclusive, c'est-à-dire que même si le feu est vert, le cycliste va partager son passage avec d'autres voitures des voies latérales qui veulent tourner à gauche, je crois.
Je pense pouvoir dire que ce n'est pas le moment le plus opportun pour un vélo, ce n'est pas le moment le plus sécure. La phase de vert aurait pu se caler sur d'autres phases plus sécure. Notamment, des phases, où sur les voies latérales, on peut aller tout droit, comme ça il n'y a pas de croisement entre cycliste et automobiliste éventuel. La phase vélo devrait trouver sa place, pourquoi pas, dans une phase de feu exclusive. C'est très contraint, ça a déjà été longuement discuté, pour l'instant la réponse est non.
Nicolas :
Les voitures restent prioritaires sur les vélos.
Mathias :
On peut imaginer que des expérimentations pourraient être faites. Notamment avec une phase de feu exclusive qui soit très courte, mais en amont du feu, un système qui permettrait de conduire le cycliste en le faisant accélérer ou ralentir, vers la fenêtre de tir, la phase de vert pour le cycliste. C'est-à-dire, par un exemple, un ensemble de diode placé cent mètres en avant du feu qui vient le guider en s'allumant rouge ou vert, vers la phase de vert.
Nicolas :
Pour essayer de fluidifier un maximum.
Mathias :
Voilà ! Quand le cycliste roule à côté des diodes qui sont allumées vertes, il est certain de ne pas avoir à ralentir et de pouvoir passer au vert. Ça pourrait fluidifier le trafic, ne pas forcément le rendre plus rapide, puisqu'il devrait freiner pour se mettre dans la bonne phase, mais en tout cas le rendre plus confortable.
Nicolas :
Le plus difficile, c'est de relancer un vélo.
Mathias :
Exactement ! Surtout, que ce n'est pas complètement plat ! Il y a des grandes phases de faux plat. De manière générale, oui. On est à l’arrêt et on doit relancer le vélo, c'est inconfortable.
Nicolas :
Très frustrant de devoir redémarrer un vélo, enfin, les feux sont très frustrants à vélo.
Mathias :
On rejoint le concept de réseau rêve, qui s'est développé à Strasbourg et que d'autres métropoles tentent de développer. C'est l’aménagement d'un ruban cyclable qui permettrait au cycliste de pouvoir pratiquer son trajet, non seulement dans les meilleures conditions de sécurité, cela ça va de soi. Mais surtout dans des grandes conditions de confort, parce qu'il y a dans la notion de confort la notion aussi de sécurité ressentie. De toute façon, si l'aménagement est confortable, il sera attractif et ce que l'on veut, l'objectif, c'est bien de recruter de plus en plus de cyclistes parmi les automobilistes. Un automobiliste coincé dans son bouchon qui voit un cycliste évoluer avec une grande facilité, un grand confort, à côté de lui, il n'y a pas de meilleure publicité pour lui faire changer d'avis, lui faire changer ses habitudes. Ces liaisons qui offrent un haut niveau de cyclabilité, c'est sûrement le défi de la fin de ce mandat ou en tout cas, très sûrement, le défi du prochain.
Nicolas :
Pour finir, quelles sont d'après vous, les plus grandes frictions ou les plus grands freins, pour faire écho au rétropédalage, qui freinent le développement du vélo dans la métropole ?
Mathias :
Il y a l'image même du vélo qu'il est nécessaire de promouvoir en donnant les bons messages aux bons territoires, c'est quelque chose qui me paraît extrêmement important. Il y a des arguments qui font mouche à un endroit, qui ne le font pas à un autre, il y a des discours qui sont entendus à un endroit, qui sont rejetés à d'autres. Il y a des priorités qui ne sont pas les mêmes selon les territoires, selon les catégories socioprofessionnelles, il faut pouvoir trouver le bon langage, le bon vocabulaire, ça me paraît être important.
Surtout, on l'a vu dans l'aide à l'achat vélo, quand on propose d'aider à acheter un vélo, les gens achètent des vélos, ça a été un succès énorme. Mais les gens ne font pas de vélo s'il n'y a pas d'aménagement cyclable. Au-delà de la présence d'aménagement cyclable, ce qu'il faut, c'est des cyclistes dessus.
Il y a le pari de travailler de concert, l'aménagement d'un réseau, avec des liaisons cyclables de qualité, qui soient visibles et le recrutement de cyclistes pour alimenter ce réseau. Je pense que la priorité, c'est essentiellement d'aménager puisque les populations sont prêtes maintenant à pédaler. Elles le seront de plus en plus bientôt, donc au-delà de convaincre les habitants, il faut convaincre les élus, tout simplement.
Nicolas :
Qui peuvent avoir parfois d'autres préoccupations !
Mathias :
C'est pour ça que l'argument économique pour moi a le plus d'écho à l'heure actuelle, le vélo, c'est facile, c'est pas cher et ça peut rapporter gros, il faut le dire comme ça.
Dérapage contrôlé ?
une phénoménologie du rétropédalage.
Nicolas Duchêne sous la direction de Miguel Mazeri
ENSCI-Les-Ateliers - 2019